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Le coeur de l’ours

Grosse voix rugissant dans la nuit sans sommeil.

Un homme, fort comme trois, bondit de sa maison et se hâte, en haillons, de gravir la montagne. Il y a là-bas, dit-on, un de ces ours bruns qui sait donner sa force au plus fort des humains.
L’homme a toujours rêvé d’être fort comme diable et de prendre revanche sur les Grands de la terre. Car, depuis sa naissance, il est traité en chien, portant, sur ses épaules, le poids de sa misère.

Son coeur est lourd de rage ! Et c’est en la mâchant qu’il gravit les rocailles, grimpe les chemins blancs. Il en bave de fureur.
Il traverse les bois, les torrents déchaînés, écoutant de son coeur la hargneuse mélopée.

Arrivé au sommet, point d’ours à l’horizon. Juste un petit lapin tout doux dans sa fourrure.
Grosse voix le rabroue, le sommant de partir.
Il vient chercher un ours, pas la douceur, pour sûr !
Le lapin le regarde et ouvre grand la bouche mais, avant qu’une phrase ne frise ses moustaches, la grosse voix grommelle, se raidit et se fâche :
– Que t’ai-je dit nabot ! N’as-tu point entendu ? Je viens chercher la force, pas la mièvrerie nue !
– En es-tu donc bien sûr ? lui rétorqua lapin, avec un grand sourire. Ton coeur n’est-il pas las de gémir et souffrir ?

L’homme grogne bien fort. Pourtant il ne dit rien.
Poilu n’avait pas tort, il le savait trop bien.
– Tu veux vaincre le monde, mais moi je crois surtout que tu rêves d’aimer…
– Foutaise ! C’est pour les fous ! grommela l’entêté.

L’homme frappe du poing contre un petit rocher, dont la tête se fend, tombant près de ses pieds.
– Comment t’appelait-on quand tu étais petit ?
– La Bête ! Et ce surnom te vaudra d’être frit, si tu ne cesses pas ton charabia bientôt ! C’est la force de l’ours que je veux !
Il rugit.
– Regarde ce rocher, tu l’as brisé d’un rien… Est-ce donc bien de force, dont tu manques l’ami ? Qu’en feras-tu dis-moi ?
– Je détruirai le monde, comme lui m’a détruit !

Passe alors derrière lui, silhouette de nuages, la plus belle des femmes qu’il eut vu de sa vie. Elle le dévisage, lui offrant son sourire, puis comme les mirages, disparaît sans un bruit.
Le gaillard est troublé. Il bute sur les mots et se met à trembler malgré lui. Fait nouveau !
– Quelle est donc cette femme ? Je ne l’ai jamais vue…
– La tienne mon ami ! Pour peu que de la terre tu épargnes la vie…
– Je ne te comprends pas !
– Crois-tu que de détruire t’aidera à aimer ? Crois-tu qu’ôter la vie pourra te soulager de ta sourde souffrance ? C’est un gouffre sans fond, dans lequel s’enfoncent tous ceux qui à l’amour par vengeance renoncent.

La femme alors repasse et lui sourit encore. Sa voix douce comme soie le berce de ses mots :
– Viens-tu donc mon mari ? Je t’attends depuis tant de rêves et de vies que je vais bien finir par me fâner d’ennui.
Nouveaux balbutiements. L’âme au dedans s’agite.
– Je ne veux point de brute, mais de ton coeur aimant.

« Comment faire ? », supplient les yeux noirs du bonhomme.
Le lapin doux lui souffle au dessous des oreilles :
– Donne-moi ta colère, tes rages et ta peine, et je t’offre en retour mon pelage d’amour.
– Elles sont ce que je suis ! s’obstine Grosse voix, ruminant son mépris.
– Alors c’est bien ainsi ! fait le lapin rieur.
Il lui tourne le dos, vers la femme sautant pour lui prendre le bras, tel le font les amants.

L’homme mordille ses doigts, se tortille sans bruit au creux de sa chemise.
– Attends ! tempête-il. Cette femme m’est promise.
Le lapin amusé arrête ici son jeu et ôte son manteau de poils duveteux. L’homme un moment hésite.
Et puis d’une main moîte, aussi géant qu’il soit, il plonge dans son coeur pour en faire ressortir le fond de sa rancoeur. Une épée gigantesque, lourde comme la mort, qu’il jette sur le sol, en même temps que remords.
Le voilà mis à nu.

Il saisit la fourrure que le lapin lui tend et enfile à la hâte son nouveau vêtement. Tout au dedans s’éclaire.
Et c’est le coeur léger, sans regard en arrière, qu’il bondit dans les bois, sa femme à ses côtés, se régaler d’Amour, comme il l’avait rêvé. En secret…

Le lapin les regarde, un sourire à la face.
Les voyant disparaître au détour d’un bosquet, le petit animal de douleur grimace et se change – Quel tour de magie vagabonde ! – en un ours si grand que les sommets du monde à lui seul dépasse.

Il se saisit alors de l’épée de malheur et la cache bien loin, tout au fond de son coeur.

Avec le temps, c’est sûr, elle fera pour un homme, une douce fourrure à troquer contre un glaive afin qu’à l’intérieur l’Amour enfin rayonne et qu’au-delà des mondes la douceur s’élève.

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4 commentaires sur “Le coeur de l’ours

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  1. Les mots se délient et l’auteur se délecte, le lecteur se lit et les mots artifices, l’acteur le lecteur s’en transforme et un instant le glaive, ziiin, sort de son étui pour laisser venir à lui le rêve enfoui de cet amour impossible… une plaine de champ de fleurs s’ouvre alors sur le chemin.. il est 4h et le soleil brille et mon coeur pense à ce lapin nu.. bravo monsieur Lapin, votre bonté est à la hauteur de votre montagne, que vos fourrures innondent les plaines… merci l’auteur

    Aimé par 1 personne

    1. Merci infiniment Lolo Petons pour ces mots emmêlés en hommage au lapin doux de la montagne. Effectivement, que les fourrures arrivent jusqu’à nous. Merci ☀️

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  2. C’est magnifique , vos mots sont des délices , en vous lisant je suis transporté et pour un peut je m’y croirais . Il ne me reste plus qu’à m’endormir et rêver ! Merci beaucoup et s’il vous plait , faites moi rêver encore , à bientôt !!!

    Aimé par 1 personne

    1. Merci Nicolas pour vos doux mots. Ce conte m’a été soufflé au matin et j’ai réalisé en le relisant qu’il contenait quelques sagesses en phase avec mon vécu du moment. Je suis ravie qu’il ait su vous toucher de sa douceur également.

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